C’était une belle matinée d’automne, le soleil était doux, on aurait pu boire à sa source sans se brûler les lèvres. Les allées, les pelouses, et les trottoirs étaient déjà jonchés de feuilles mortes. Encore, quelques dahlias aux couleurs éclatantes levaient la tête.
En sortant du tram, j’ai rencontré un ami que je n’avais pas vu depuis plusieurs mois. C’est toujours pareil, on se dit que… Et puis le temps passe, on oublie de se voir, on a ses occupations… Je lui ai donc proposé de prendre un café, de griller une cigarette, de faire un peu la causette. Le serveur était à peine arrivé avec son plateau fumant que le portable du compère s’est mis à sonner… J’allais lui dire que… lorsqu’une deuxième sonnerie a fredonné… J’aurais voulu savoir si… une troisième sonnerie… Je commandai donc deux autres cafés, et lui demandai des nouvelles de … lorsqu’il m’a prié de l’excuser, car il avait un message à écrire. Il a tripoté son clavier pendant que je payais l’addition…
En sortant du bistrot, nous nous sommes serré la main, et il m’a dit : « Tu sais, ça fait du bien de pouvoir discuter avec un ami de longue date ! »
Téléphone
Les villes deviennent invivables, saturées de klaxons, de crissements de freins, et d’émanations d’essence. Il suffit que l’homme se trouve en face d’un volant, d’un seul coup il devient le maître du monde. Il manipule son levier de vitesse comme s’il palpait son pénis dans l’arène du sexe. Il ouvre sa fenêtre, invective, fait des appels de phares, double avec condescendance. De plus, la voiture est devenue le symbole de la réussite sociale, ce n’est pas l’outil pragmatique, telle la pointe réclamant le marteau, mais la foire des envieux et des arrogants. Et puis, il faut dire que le monde a changé, les femmes sont arrivées sur le marché du travail. Après une lente émancipation et un épanouissement intellectuel, la douce maman du foyer est aujourd’hui devenue la reine du bisness, la prêtresse d’une pyramide infernale – paradoxalement, elle reste l’objet à dentelles, la publicité et le marketing lui tirent des aubades à tous les vents. Cependant, la femme libérée utilise une voiture pour aller œuvrer, et il n’est pas rare de voir des troupeaux sur les banquettes des attelages. Quant à la progéniture, il a grandi entre deux machines à polluer, et son premier geste est de caresser la pédale d’accélérateur.
Alors, tout ce beau monde vient envahir les rues et les boulevards périphériques. Et tant que le pétrole rapporte, on n’est pas encore disposé pour d’autres solutions.
Les voitures
Pierre Rive – extraits du livre « Ville » EDITIONS CHLOE DES LYS