Ce livre est essentiellement un travail burlesque et basé sur l'autodérision (sketches,etc.), avec aussi des petites notes argotiques françaises. Car, je pense que ce langage fait partie de notre culture.
Pourquoi le burlesque et l'autodérision?? Parce que je pense que la littérature est souvent trop triste à notre époque.. Et puis, il faut aussi savoir rire de sa propre personne.
Paradoxalement, le rire est aussi le fruit d'une certaine gravité...
Titre : Mélange Illustration de l'auteur 120 pages Ed Chloé des Lys 2008
Extraits
Chère Ghislaine,
Je vous remercie pour cette journée ensoleillée. Il est vrai qu'en fin septembre, la chaleur est encore intense. Vous m'attendiez sur la terrasse de votre maison qui longe la Loire, dans votre robe blanche à rayures azuréennes. On aurait dit une peinture impressionniste, cette volonté indéniable de figer l'instant. A vous voir épanouie, le visage décloué des panneaux artificiels, le front légèrement badigeonné par l'ombre des arbres ; des larmes d'émotions coulaient à l'intérieur de mon univers. Etait-il nécessaire de pleurer à l'extérieur ? Non ! Il me semblait inutile de gâcher cette clarté. Alors, dans la danse lente des feuillages et le chant effilé des becs rayonnants, vous m'avez tendu vos bras et votre sourire. De ce sourire qui fait que la femme est indéfinissable. Nous avons bu du vin blanc tout en humant l'eau douce du fleuve avec ses relents de pierres et de sables. Vous étiez en train de me reprocher que j'étais toujours à fuir vos invitations, lorsque votre frère est arrivé et m'a exhorté pour une partie de pétanque. Ghislaine, la douleur fut grande de me séparer de votre lumière… Cependant, il faut savoir faire preuve de civilité. Nous avons commencé par une triplette, puis le cercle s'est élargi , et les spectateurs furent nombreux. Je fus d'abord désigné comme tireur, on a débouché quelques bouteilles de rosé. La partie fut très longue, les cadavres en verre s'accumulaient sur le gazon qui commençait à gazouiller tous les pinsons du monde. Vers la fin du jeu, j'avais un mal certain à placer les sphères sur le terrain. Pour fêter notre défaite, nous avons effectué plusieurs tournées de pastis… Lorsque nous fûmes enfin seuls, c'est à tâtons que j'ai retrouvé la terrasse. Vous étiez dans votre salon, allongée sur un canapé, et vous regardiez la télévision – il me semble. Alors, avec un élan fougueux, je me suis allongé sur votre corps de déesse et j'ai ronflé toute la nuit dans la vallée de votre cou. Ghislaine, ce fut vraiment une journée merveilleuse, et ce doux parfum de soirée qui embaumait votre maison de raisin et d'anis. Ah Ghislaine ! Je crois que nous avons énormément d'affinités.
A très bientôt
Ps : J'espère que votre frère sera là pour la revanche.
Il vaut mieux se taire...
Il vaut mieux se taire quand on n’a rien à dire. Déjà cette phrase est beaucoup trop prolixe. Pour tout vous dire, il aurait mieux fallu ne pas l’écrire. Ou alors, simplifier l’expression de telle façon que… que le blanc soit plus exprimé. C’est à dire, trouver un raccourci algébrique qui fait économie de mots tout en gardant le timbre de l’idée première. Cependant, si je suis ce raisonnement, nous arrivons indéniablement dans un monde empreint de difficultés. Choisissons un fragment de cette phrase : il vaut mieux. Avouez que même si l’on n’a rien à dire, « il vaut mieux » ne veut strictement rien révéler. Car, à cet effet, on peut tout imaginer. Assurément, on peut dire : il vaut mieux avoir sa main dans la culotte de la voisine, plutôt que dans celle du voisin. Ou encore : il vaut mieux être un singe ignorant plutôt qu’une tête de veau ébouillantée. C’est ce qui m’étonnera toujours dans la langue française, on débute une phrase et puis… Bon ! Continuons notre développement. Si je prends une autre fraction : se taire. Se taire, quand il est isolé de la phrase n’est pas plus explicite. Car, on peut se taire pour écouter l’autre, puis parler profusément. Ou encore, on peut se taire lorsque l’on est à la pêche au bord d’un lac ; tout à coup se décrocher les mâchoires ; chanter des chansons paillardes, parce que le poisson a mordu l’hameçon. Bon ! Enfin, prenons : « on n’a rien à dire .» On peut très bien ne rien avoir à dire sur tel ou tel sujet. Et puis, étaler une thèse sur la vie des moustiques dans l’Arctique. Bon ! Résultat des courses, on ne peut guère simplifier l’expression. Et, c’est bien dommage, car j’aime les choses simples. D’ailleurs, tout ce qui est compliqué me donne la nausée, me chiffonne et me fait mal aux seins. Quand je pense qu’il y des gens qui parlent ou qui écrivent pour ne rien dire… En vérité, je crois qu’il est préférable de le dire verbalement. Quoique… Quoique, le fait de le dire soit déjà très loquace. Le mieux, serait d’en parler à un proche, cela afin qu’il puisse le dire à votre place. Et, on s’en laverait les mains ! Quoique… Quoique, le fait d’en parler à votre voisin soit déjà trop bavard. En vérité, le plus sage serait de le mimer. Nous serions enfin dans le royaume du silence, de la quiétude. Voilà ! Voilà ! Pourtant…
Pourtant les gens qui brassent de l’air pour ne rien dire, m’agacent particulièrement.
Chère Rose,
Je ne savais plus quoi penser de notre dernière rencontre. Il y avait tellement de sensualités dans vos gestes et sur votre visage. J’ai eu l’impression d’avoir passé ma vie à ramer dans un océan de pauvreté. C’est pourquoi, depuis peu de temps, j’ai investi dans un aéroplane. Cela afin, de survoler ma triste personnalité, de pouvoir vous approcher sans ressentir cette affreuse pesanteur qui déstabilisait mon armure et dégradait mes articulations. J’avais beau mettre de l’huile, à chaque fois que je vous apercevais – vous, si belle et si fragile – j’avais le palpitant qui commençait à rouiller, la langue chargée, les amygdales grosses comme des roupettes, et la salive figée.
Le jour fatidique où nous avons décidé de nous rencontrer pour une sérieuse conversation sur notre devenir, vous m’attendiez dans une jolie prairie fleurie. Alors, vous m’avez vu arriver tel un aigle royal. Mon zinc dessinait de grands cercles dans l’azur, et un vent douceâtre soulevait votre robe, laissant apercevoir votre superbe calbute à rayures vertes. Le preux chevalier du ciel faisait des acrobaties, tandis que vous restiez la bouche ouverte, émerveillée. Vous aviez toujours cet éblouissement dans la mâchoire, lorsque je décidai d’atterrir sur des tapis de pâquerettes. Mon aile gauche a emporté votre dentition, et c’est à ce moment là que je me suis aperçu que mes freins ne fonctionnaient plus. Ma belle Rose, je fus complètement désemparé lorsque mon appareil est allé se cogner avec fracas contre un bosquet de peupliers. Avec le choc, je me suis mordu la langue, et un morceau de viande est venu se plaquer sur le tableau de bord. Depuis ce temps-là, nous ne nous parlons plus.
Et je peux vous affirmer que c’est bien dommage !
Pour passer commande Mail: chloe.deslys@scarlet.be
www.editionschloedeslys.be
Autres titres chez le même éditeur Parution 2006 : Ecriture volume 1/115pages et volume 2/129 pages(compilation d'écriture poétique 1994-2004) Illustration de l'auteur
EXTRAITS:
La belle
Cette fois
Cette couleur blanchâtre
Qui te pare
Que viennent lécher les loups.
Cette fois
Le filet des étoiles
Sur ma gueule
Et le vent figé sur les arbres.
La belle
J’ai l’épée sous le menton
Et la cuirasse fendue
Tel un tronc
Après la foudre.
Tu frottes tes mains
Avec le poison
Qu’étayent les femmes amoureuses.
Que veux-tu ?
La mousse
La pourriture
Les scarabées
L’écorce éparse
Ou les sphinx qui se suicident les ailes
Sur tes fenêtres.
Que veux-tu ?
A celui qui ne sait rien.
Si !
La chance d’être encore en vie.
Demain
Peut-être
J’aurai le visage sous le jupon
De la mort.
Demain
Je ne pourrai plus ouvrir
Les coffres aux trésors
Ni
Voir étinceler les pierres
A ton cou.
La belle
Dans ton temple infini
Sous ton arche perdue
Je cuisine les mots.
Je sors les épices ;
Sous les feux mijotent des plats inconnus.
Le vin rubis
Et le vin grenat
Ruissellent sur mes dents
Comme la mer sur les rochers.
Je suis là
Puisque tu m’as réveillé.
J’ai les paupières dans les poches.
Elles ne viendront plus nous importuner.
Je vois déjà
Les bateaux s’arrimer
A la table insulaire.
Et c’est merveille
Tous ces marins en sueur
Qui font glisser les barques
Sur le sable
De
Tes plages.
La Belle
La voix qui était venue aux oreilles de K n’était pas celle que Jeanne avait entendue en gardant ses moutons. La voix qui avait percé la cire, la croûte, le bouchon, était aiguë telle une ascension vers un monde parallèle. Un monde où les rêves élastiques se tordaient, s’étiraient sous les lumières ; se libéraient entre les doigts d’une création en ébullition. La cire devenait poussière. Les couteaux d’un ciel réveillé coupaient le voile de ses yeux. Enfin, il respirait les fleurs impalpables et sortait d’une faune obscure les instants de clarté qui s’emperlaient à tous les vents.
Le son qui était sorti de la torpeur, était devenu ample comme une musique avec ses retours de sel. La musique était si plaisante que K n’entendait plus ses pas qui crissaient sur un mélange de coques vides, de pierres érodées, de sable. L’astre de sa tête trouvait les falaises admirables. Les sculpteurs des marées avaient figuré des pays inconnus qui se côtoyaient et se transformaient. Les bergères de la mer avaient des visages calmes ; leurs chevelures ambrées sillonnaient un bleu émeraude. Il y avait du Titien, du Tintoret, du Renoir, chez ces femmes langoureuses.
Toutes ces femmes avivaient les flammes qui avaient pris naissance au moment où la voix était venue. Pourtant, en ramassant un morceau de bois qu’un enfant de Neptune avait refoulé avec les algues, K se mit à tourner le dos au décor avec pour ombrelle le vol des mouettes. Il savait pertinemment que les portes du temple allaient se refermer, que demain serait une autre vision. Il fallait retourner dans la maison de la nudité, entourée de chouettes, de lunes et d’ombres fulgurantes. Il savait que le souffle sur les épaules, il irait s’asseoir toujours au même endroit devant la feuille et l’encre fluide.
Il savait que germeraient des jardins.
K
Ensemencée d’étoiles
Elle répand sur le sable
Des paroles
Des fragments
Des sourires lointains.
Tantôt langoureuse
Semblable à une gitane
Sur un banc de coquillages
Ses doigts caressent
Les cordes du vent.
Tantôt échevelée
La sueur perle son visage.
Elle frappe sur les batteries ;
Les embruns se perdent ou se captent
Avec les cris des oiseaux palmipèdes.
Aux lunes pleines
Se tissent les toiles.
Les araignées du rêve
Sortent de leur ventre
Des fils d’encre.
Elle déserte les rivages
Dévoilant ses jambes ruisselantes
Son sexe de goémon.
Le ciel écarte les nuages
Se rince l’œil.
Ou
Elle redouble de vigueur ;
Lâche ses chevaux d’écume
Qui se cabrent, se ruent
Creusent les roches.
Dans les ressacs
La dompteuse exhorte les crinières.
Vêtue de brume
On entend les rames des chaloupes.
On devine les barbes
Les boucliers
Les cornes sur les casques
Les plissures des fronts.
De temps en temps une lumière :
Une épée brandit sa lame
Et déchire le rideau opaque.
C’est la langue du sel
Qui crie parmi les cordages ;
Le loup marin
Qui arrache sa pelure.
Le souffle
Enivre les narines de la création.
Son pollen féconde
Le chant des voiles
Et les îles.
La pluie se perd dans l’amplitude.
Mais
Quand les yeux noirs iodés
Deviennent transparents
Autour de son cou
La belle porte des bijoux étincelants.
La poitrine épanouie
Elle se balance de liane en liane
Dans les forêts d’algues
Appelant les fauves
Et les troupeaux d’éléphants.
Après le ralliement
Le bruit de frottement
Qui persiste
N’est rien d’autre qu’une plume
Qui griffe le papier.
Propagée de soleil
Son corps transmuable
Arbore
Des bleus, des verts, des jaunes, des rouges.
Mais jamais !
Jamais !
Les arbres ne perdent leurs feuilles.
Entre les branches
Un singe
Gavé
De
Fruits.
La mer
Ton cœur battait si fort
Quand tu étais nu
Dans les buissons du silence.
Ton cœur battait si fort
Quand ta bouche a mordu
La clarté de son sourire.
Les embruns étaient sur ton visage
Pour te rappeler le souffle.
Les guerriers de l’habitude
Avaient les yeux inertes :
Ils baignaient dans leur sang ;
Un rêve assassin les avait pris pour cible.
Des enfants déchiraient la toile du ciel
Avec des rires incessants.
Le vent prenait de l’ampleur
Et l’encre aventureuse hissait sa voile.
Ton cœur battait si fort
Quand tu étais nu
Et que ta main a soulevé
Sa robe.
Pourtant
Elle n’était pas faite
De
Chair.
Buissons
Mettre dans le fourneau de la pipe
Les plateaux, les arbres tourmentés, les ciels gris
L’ébène des falaises
Les sentiers accidentés qui mènent aux criques.
D’un coup de hache
Couper les amarres
Et se retrouver devant les étendues d’eau qui remuent
Dans le clair-obscur de l’immensité.
Se laisser aller au tangage
Avec les fils du vent sous les aisselles.
Ecouter les joueurs de flûte
Qui charment les serpents aux lisières des vagues.
Boire le sang du ciel
Parmi les feuilles des nuages.
Fumer le crépuscule
Et les cris des oiseaux.
Caresser les cordages
D’une main rêveuse.
Quand le phare n’est plus
Jeter les filets
Et sentir le bec de la chouette
Pincer le cou du pêcheur.
Et sentir éclore les bourgeons de l’instant
Dans le silence des étoiles.
Sur le pont
Les poissons dévorés
Par des lumières insatiables.
Pont
Parution 2007/ 142p ( Nouvelles et poésie)
Illustration de l'auteur
Souvenirs et réflexions d'un homme qui se promène à travers les parcs.
La vie avance et puis régresse, dans ces promenades à travers les parcs. En effet, même si la vie est faite de découvertes, reviennent les souvenirs comme un souffle en plein visage. L'homme serait heureux s'il ne vivait que pour l'instant et le plaisir. Il n'aurait pas le fardeau de la mémoire. Noyau de jouissance, il ferait le lézard, et la queue élimée par les siècles, il s'abandonnerait au soleil sans un verbe ni une pensée.
La vie avance et puis régresse, et l'on peut écouter dans le bruissement des arbres, la litanie du monde et de ses fléaux.
EXTRAITS
Il faisait chaud sur le parking. J’ai toujours aimé la chaleur. Habiter au Brésil parmi les femmes qui se trémoussent ou dans un petit village de pêcheurs entre les murs blancs de la Grèce, cela me serait très agréable. Certes, l’image du Brésil est un leurre : la profusion de la misère, la pollution de la baie de Rio… Certes, les statues qui ont bercé de légendes ont tendance à s’enliser dans les marécages de nos soirées coutumières. Cependant, retrouver le geste essentiel, raccommoder les filets, manger à sa juste faim, boire le sang du crépuscule, me serait vraiment très agréable.
Mais, j’étais garé devant ce parc dans une ville pieuvre dont les ventouses happaient avec avidité les campagnes environnantes. Pourtant, des branches lourdes traversaient les grilles impunément avec des dégradés de vert. Dans la chevelure des arbres murmurait déjà un monde nouveau. On aurait dit que la nature voulait retrouver ses droits sur le bitume. Le parking était désert ou presque, un chien urinait devant une cabine téléphonique en péril. C’était l’heure de midi, et je m’apprêtai à faire fondre la graisse de la quarantaine.
J’avais mis mes chaussures de sport, et j’étais en train de verrouiller ma vieille carrosserie, lorsqu’une voiture est venue se ranger juste à coté de la mienne. Effectivement, sur un parking désert, venir s’aligner à cet endroit me parut bien étrange. Enfin ! Il y a plus étrange ! J’ai donc jeté un coup d’œil sur le conducteur, je ne voyais pas grand chose avec les reflets que faisait le soleil. Je me suis accroupi pour serrer mes lacets. La vitre s’est baissée, laissant apparaître un visage féminin.
La femme souriait. Dingue ! Une femme qui se mettait à sourire ! Il est possible que ce soit un phénomène de société, je trouve que les femmes sont de moins en moins souriantes : le stress, le travail, la compétition, les embouteillages, le sida, l’équilibre amoureux, la mignonne abandonnée avec son rejeton, la donzelle qui cherche le prince charmant à chaque coin de rue, le boutonneux qui pique sa crise… La libération des mœurs n’a pas arboré que de bonnes choses. Non seulement elle souriait, il faisait beau. Je n’ai jamais eu la moindre aversion envers les gens de couleur : elle était noire, et son faciès était racé.
Il y avait quelque chose de risible. Je me trouvais avec mon short et mes jambes pleines de poils en face d’une black qui laissait glisser sur son nez des lunettes avec montures dorées. Le rouge vif qu’elle portait aux lèvres ne contrastait pas vraiment. Cependant, dans le blanc de ses yeux, on pouvait s’y perdre, assurément.
Le besoin de séduire qui m’avait tenu la main pendant des années avec fougue ne faisait plus partie de mes rituels. Cependant, faire un brin de causette n’était pas interdit. Je me suis accoudé à sa portière, comme on s’accoude sur le muret du voisin pour lui parler des légumes ou des fleurs de son jardin. Il y avait un livre sur le tableau de bord. Je lui ai demandé si elle aimait la littérature. Elle m’a montré la couverture de l’ouvrage : c’était une collection à l’eau de rose. Tous les goûts sont dans la nature, pour ma part, l’eau de vie et l’eau de rose… L’écriture n’est pas uniquement ce nid où les chenilles sortent à la file indienne comme des majorettes sous un ciel merveilleux.
Je décidai de changer de conversation… tout en parlant, je remarquai une jolie paire de seins dont le grain ressemblait à celui d’une peau d’orange. Les fruits semblaient vouloir éclater l'enveloppe. La vie d’un homme n’est pas toujours facile à gérer à ces moments-là. D’autant plus que ses jambes laissaient deviner des festins. Je lui aurais bien fait un petit sur la banquette arrière, afin que notre progéniture éphémère aille crier le feu dans les feuillages de ce parc. Nous étions sous le soleil, j’avais le vent du désir, au cœur d’une ville où subsistait un refuge. Peut-être était-elle venue de sa hutte en terre pour voir l’homme blanc avec du poil aux pattes ?
Tout à coup, elle m’a proposé une partie de joyeuses à l’hôtel. Tiens ! Une prostituée ! Marrant ! J’avais pensé à une secrétaire, une vendeuse, une avocate, un flic, un cadre dynamique, une féministe, une pédagogue de la poésie… La prostituée, ce genre de métier m’était complètement sorti de la tête. C’était donc un sourire commercial. Je ne lui ai pas demandé si elle faisait cela librement ou si son lascar venait relever les compteurs à chaque fin de semaine. En tout cas, c’était une très belle femme, et l’idée qu’elle était venue à ma rencontre acculée par la nécessité me faisait froid dans le dos. L’union de l’Europe est un vrai tas de pus, je ne parlerai pas du restant…
J’ai connu une fille qui faisait le même travail quand j’étais dans le sud du Maroc – il y a des années. On habitait sur le même palier, ce fut un pur hasard. Elle s’appelait Fatima, on fumait souvent ensemble le narguilé et on buvait le thé à la menthe. De temps en temps, elle m’invitait à ses réceptions mondaines : dans la salle qui lui servait de chambre à coucher, elle préparait le couscous. Puis, arrivait un client potentiel ; elle s’installait sur ses coussins et commençait son cinéma avec des gestes de divinité du sable. Quand les choses devenaient concluantes, je me dérobais avec le sourire. Les soirs où elle avait le cafard, elle venait frapper à ma porte. Nous étions devenus amis.
Ce n’était pas une femme d’une beauté extraordinaire, mais de son visage émanait un charme certain. Elle était grassouillette, un peu moins que les baigneuses de Renoir – tout de même. Mais, sa chair était rassurante. Dans la cour intérieure qui était commune à nos deux paliers, les mosaïques tapissaient les murs. Au milieu de la cour, il y avait le néant. Et, au milieu du néant, il y avait Fatima qui accomplissait la danse du ventre pour mon plaisir. De voir se tortiller ce corps me rendait fou, j’aurais bien fait mon habitat dans son nombril pour l’éternité. A ce moment, nous redevenions des enfants, moi qui fuyais les rouages de l’occident. Elle, la prostituée qui s’offrait en pâture aux conquérants.
Un matin, je suis parti sur la pointe des pieds. Je n’ai pas eu le courage de lui dire… depuis, j’ai souvent regretté.
J’ai enlevé mon coude du comptoir de la black.
J’ai couru longtemps.
Parking
Des belles de nuit ! Certainement une bonne valise de souvenirs. Des belles et des moins belles. Des jeunes et des moins jeunes. Des brunes, des blondes, des rousses… Des rondes ou effilées. Je n’en tire aucune gloriole. Néanmoins, cela a fait partie de ma vie pendant des années, et c’est un fait. Ce que l’on appelle le donjuanisme n’est pas toujours empreint à la négation. Car, un adolescent pusillanime peut y trouver un véritable épanouissement. A condition, bien sûr, de se conduire avec tact. Je me souviens de cette nuit où Daniel m’a déposé avec sa 2cv dans un petit village. Il m’a souvent dépanné lorsque j’avais rencard avec une gracieuse. Daniel était un blondinet lymphatique qui avait toujours aux lèvres un mégot qu’il mâchait comme un bambin, une tétine. Je l’ai vu rarement s’énerver. Sauf, le jour où l’on s’est réveillés la langue pâteuse dans un fossé avec la fameuse 2cv. Le blondinet est entré dans une colère ! Il est sorti de la charrette en postillonnant, brassant les nuages et invectivant le ciel… Et puis, toujours sous le joug du courroux, il a ouvert le coffre de son bolide et a sifflé cul sec la moitié d’une bouteille de whisky qui restait à traînailler… Ce geste m’a toujours étonné. Avec le recul, je pense que c’était digne d’un grand de ce monde – n’est-il pas ? ! Sacré Daniel ! A cette époque, il n’y avait pas de contrôle technique, et sa voiture était un vrai tas de boue. On pouvait y voir à travers le plancher ; il y avait plein de cadavres de flacons qui roulaient à chaque virage. J’entends encore cette douce musique… Pareillement, le téléphone portable n’existait pas. Et, c’était une angoisse permanente pour converser, d’autant plus qu’il y avait quatre parois vitrées, il suffisait de trouver la bonne… ! Dans le petit village, j’ai marché tranquillement comme un oiseau lunaire qui cernait sa proie. J’ai fait le tour de l’agglomération parmi les maisons aux paupières mortes. J’ai toujours aimé la nuit et ce silence intense qui vous pénètre les veines. Avec, dans les ruelles de la tête tous les rêves à venir. Je lui avais dit deux heures du matin. Je l’avais rencontrée la semaine précédente à une soirée. Dans les soirées, et c’est toujours d’actualité, on parle de tout et on parle de rien. Mais, la seule chose que j’avais remarquée, c’était la beauté de son visage. Je lui avais dit deux heures du matin, car elle habitait une maison en pierre au fond d’un jardin. Sa chambre se trouvait au premier étage, et ses parents dormaient au rez-de-chaussée. Les géniteurs gardaient précieusement la jeune femme entre quatre murs avec une vanité excessive. J’avais entrepris d’escalader par la gouttière, cela afin de pouvoir accéder à l’oreiller percé de la mignonne. Je ne savais pas pourquoi, mais à chaque fois que j’entreprenais ce genre d’ascension, j’avais des ailes qui me poussaient dans le dos. Etait-ce mes trois ans de gymnastique au club de… ? La chevrière en question était une fine fleur de la faune française. Une jolie brune, la chevelure ondulée, un fessier à vous faire perdre votre nom, un grain de beauté au-dessus de la lèvre supérieure et un autre sur le sein gauche.
Une histoire à vous rendre gâteux !!
J’étais presque rendu au bout de mon escalade, lorsque la gouttière s’est soudainement descellée de la pierre. J’ai atterri avec force sur la serre à laitue de ces braves jardiniers. Il est bien évident que cette mésaventure a réveillé tous les chiens du quartier, et les volets du plain-pied ont crié :
Au voleur ! Au voleur ! Au voleur !
Le temps de me planquer derrière la haie d’une maison avoisinante.
J’ai vu les gyrophares clignoter.
Un scintillement absurde.
Un voleur d’amour sans butin.
Belles de nuit
Il y a des canards, des cygnes, des pigeons. Et, si l’on regarde bien, de grosses carpes. Ce parc est accidenté, des pièces d’eau se renouvellent par étages. Les roches diffusées de fleurs donnent du caractère aux étendues fluides. La chaleur est encore intense. Je m’installe à un banc qui est déjà occupé par un moustachu. Il me dit bonjour du bout des yeux. J’ai porté la moustache dans le temps, même la barbe, et aussi les cheveux longs. C’était le temps où l’on se tapait des frangines sur les capots des voitures, au sortir des boîtes de nuit.
Que sont mes frangines devenues ??
Le temps a changé, aujourd’hui je me rase souvent et je vais régulièrement chez le coiffeur. Les cheveux gris sont devenus plus abondants. Il est possible que cela rassure la gent féminine. Pour ma part, ça commence sérieusement à m’inquiéter. Je sors mon tabac, et observe mon voisin. Il me demande s’il peut profiter d’une cigarette. L’homme a besoin de parler. Ses joues commencent à s’empourprer, son regard déborde de colère. Il me dit qu’il vient d’être licencié, après vingt ans de loyaux services. Il a deux enfants, une maison à payer, une femme qui commence à faire la grimace. Il vocifère contre le libéralisme européen. Je lui réponds que sous l’empire de Napoléon Le Petit, on envoyait systématiquement au bagne les socialistes. Que la France de Jaurès et de Blum n’existe plus. Qu’au lieu des pénitenciers, aujourd’hui, on enterre vivant.
Le moustachu